Interview de Monsieur Etienne HODY, Président du Tribunal de l'entreprise de Liège

Interview

Le 8 septembre 2023, Monsieur le Président Etienne HODY, président des divisions de Namur et Dinant, a prêté serment en tant que « super »-Président du Tribunal de l’Entreprise de Liège, suite à la place laissée vacante par Madame Fabienne BAYARD.

Laura Nicolini : Monsieur le Président, pour les avocats qui ne vous connaîtraient pas, quel est votre parcours professionnel ? Comment êtes-vous devenu Président du Tribunal de l’entreprise de Liège ?

Etienne Hody : Je suis Liégeois. J’ai prêté le serment d’avocat en 1989 et ai effectué mon stage auprès de Me Roger RASIR au sein du Cabinet HANNEQUART & RASIR (ndlr : aujourd’hui devenu elegis).

J’ai ensuite rejoint le Cabinet DEHIN-EVRARD-FIRKET et repris les dossiers de Philippe EVRARD (ndlr : devenu Président du Tribunal de Commerce également).

Je suis resté associé à Me Michel FIRKET jusqu’en 2003, date à laquelle j’ai rejoint la magistrature.

J’ai passé l’examen d’aptitude et ai été ensuite nommé au Tribunal de Commerce, à l’époque, de Bruxelles au sein duquel je suis resté jusqu’en 2015. J’y ai connu à peu près toutes les matières commerciales, à l’exception de la PRJ qui n’est d’ailleurs apparue qu’en 2009.

J’ai eu l’opportunité en 2015 de revenir sur Liège pour me mettre dans le sillage de l’ancienne Présidente du Tribunal de commerce de Namur-Dinant qui allait prendre sa pension ; j’ai ainsi été élu président de division dès décembre 2015.

De par cette fonction, j’ai participé au Comité de Direction du Tribunal de l’Entreprise de Liège.

En décembre 2019, quand Fabienne BAYARD a cumulé sa fonction de Président du Collège des Cours et Tribunaux avec celle de Président du Tribunal de l’Entreprise de Liège, elle a confié davantage de tâches aux Présidents de division, dont je faisais partie.

En décembre 2022, le Code judiciaire a été modifié et il n’était plus possible de cumuler les deux fonctions en même temps. Fabienne BAYARD a naturellement choisi de se consacrer au Collège des Cours et Tribunaux. Elle a donc démissionné comme présidente du tribunal fin janvier 2023, après m’avoir désigné comme président faisant fonction.

Il était donc logique que je me présente à la place laissée vacante. Je pensais et pense encore pouvoir apporter utilement mon expérience ; en outre, ce mandat est pour moi une opportunité de terminer de belle façon ma carrière dans cette juridiction que j’aime tant, pour l’intérêt et la variété des matières traitées que pour l’échevinage avec le corps des juges consulaires qui nous apportent tant.

L.N. : Expliquez-nous en quelques mots votre rôle de Président au quotidien.

E.H. : Ma fonction de Président repose sur trois axes :

Le premier est d’organiser l’activité propre du Tribunal de l’Entreprise : planning des audiences, répartitions des juges dans les différentes divisions, organisation des greffes, entretenir les relations avec les juges consulaires, les curateurs, les experts, les huissiers, les référendaires, les avocats, etc.

Le second est d’entretenir les relations avec les autres membres de l’Ordre judiciaire, comme le Collège des Cours et Tribunaux, l’ORTE (ndlr : regroupant tous les présidents belges des tribunaux de l’entreprise, y compris flamands), le Parquet, la Cour d’appel, le SPF Justice, etc.

Et enfin, le troisième et dernier axe est d’assurer avec l’aide des collègues la représentation extérieure du Tribunal : dans les universités ou au CAPA (à Namur), dans les revues juridique de droit commercial ou au sein des différents secteurs de l’entreprise (monde agricole, UCM, CCI, etc.).

L.N. : La Justice va mal (manque de personnel, manque de magistrats, manque de moyens financiers, etc.) ; quels sont les défis auxquels vous allez devoir faire face pendant votre mandat ?

E.H. : Certains tribunaux sont plus à plaindre que d’autres. Le Tribunal de l’Entreprise de Liège fait du bon travail et a bonne réputation.

Il est cependant certain que des évolutions et de nouveaux projets vont bouleverser les activités du tribunal. Il va falloir maintenir la qualité actuelle malgré les changements.

Ainsi, nous devons nous préparer à la gestion autonome qui nous est annoncée et qui impliquera que nous définissions nous-même une politique propre en matière budgétaire, de ressources humaines, voire de logistique, etc. La numérisation intégrale des dossiers vers laquelle la justice tend va modifier profondément les pratiques des greffes. Actuellement, le télétravail est très marginal étant donné que les dossiers restent majoritairement en format papier. Une fois cette numérisation devenue réalité, et compte tenu de l’évolution du contentieux et des mouvements du personnel, une réorganisation des greffes des plus petites divisions du tribunal s’imposera à nous.

L.N. : Votre rôle de Président prend-il la place sur la fonction de « juger » au sens strict du terme ou continuez-vous à participer à diverses audiences ?

E.H. : Il est important que le Président continue à avoir une fonction juridictionnelle. Il doit rester en phase avec le travail quotidien des juges et du personnel judiciaire.

J’ai repris la chambre de règlement amiable de Liège qui était tenue par Fabienne BAYARD une semaine sur deux. J’assure toujours certaines audiences en matière de faillite à Namur et Dinant.

L.N. : De manière beaucoup plus pratique, qu’attendez-vous des avocats à l’audience ?

E.H. : Nous attendons des avocats qu'ils remplissent pleinement leur mission d'auxiliaire de justice ; à ce titre, ils doivent notamment avoir une bonne maîtrise des conclusions et des pièces de leurs dossiers sur lesquels les magistrats sont susceptibles de les questionner.

Hélas, essentiellement aux audiences d’introduction, nous constatons régulièrement une connaissance déficiente du dossier et des pièces, notamment lorsqu'il s'agit pour le tribunal de vérifier si aucune solution négociée n’est envisageable.

Pour rappel, depuis la loi du 18 juin 2018, les juges ont une obligation positive de tenter de concilier les parties. Les avocats doivent accepter que, même s’ils ont tenté de négocier en amont, le Tribunal peut avoir un autre regard et apporter une plus-value dans la recherche d’une solution négociée.

La Belgique détient le record au sein du Conseil de l’Europe du plus grand nombre d’actions en justice par habitant. En Allemagne, par exemple, il y a une véritable culture de la négociation, de la médiation et du règlement amiable en général. Il est important que nous ayons une chambre de règlement amiable dans chaque tribunal, et que le barreau participe à son succès.

L.N. : Dans la même lignée, qu’attendez-vous des curateurs de faillite ?

E.H. : Les curateurs doivent trouver un juste équilibre entre célérité et recherche du meilleur intérêt des créanciers et travailleurs par rapport à l’approfondissement de leur dossier.

Je suis notamment surpris de la différence de culture entre certains arrondissements concernant l’introduction par les curateurs d’actions en responsabilité : à Bruxelles, j’avais à connaître de telles procédures à chaque audience alors que c’est beaucoup plus rare par exemple à Namur.

En outre, depuis l’entrée en vigueur de la réforme du Livre XX du Code de droit économique, le curateur peut intenter une procédure d’interdiction à l’encontre du failli. Cette procédure présente davantage d’intérêt à mes yeux que les refus d’effacement. Certaines personnes sont incapables de gérer une entreprise sans pour autant être malhonnêtes et de mauvaise foi. Il est préférable de les empêcher de reproduire les mêmes erreurs à l’avenir sans pour autant mettre le failli et sa famille dans des difficultés financières avec un refus d’effacement.

L.N. : Vous avez été avocat. Quels conseils donneriez-vous aux plus jeunes d’entre nous qui débutent la profession ?

E.H. : Les jeunes avocats ne doivent pas avoir peur des juges ni même hésiter à adopter des défenses de rupture si l’intérêt de leur client l’exige.

Je leur conseille cependant de ne rien faire qui serait de nature à sacrifier leur réputation, ni pour un client ni pour leur patron de stage.

Le stagiaire est bien souvent envoyé « au casse-pipe » et c’est aux maîtres de stage que je m’adresse ici : « Mettez vos stagiaires en capacité de remplir leur rôle à l’audience, en connaissant le dossier ». Le stagiaire ne connait parfois rien d’autre que la citation lors des audiences d’introduction.

Laura NICOLINI

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