Taxation distincte des indemnités pro deo : suite et pas fin !

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Ceux qui accomplissent des prestations dans le cadre de l’aide juridique le savent, il convient de s’armer de beaucoup de patience avant de pouvoir recueillir le fruit de ce travail. En effet, les modalités de paiement de l’indemnité relative à ces prestations, déterminées dans un arrêté royal du 20 décembre 1999, conduisent inévitablement à un paiement, au plus tôt, l’année suivant la clôture du dossier. Entre le début des prestations et la clôture définitive du dossier, il peut s’écouler un certain laps de temps, plusieurs mois, voire quelques années, ce qui rend la perspective d’indemnisation d’autant plus lointaine.

Outre qu’elles ne sont guère confortables pour la trésorerie de bon nombre de confrères, ces modalités d’indemnisation sont susceptibles d’avoir un impact fiscal non négligeable. En effet, ces indemnités sont, en principe, taxées comme des revenus de l’année pendant laquelle elles ont été perçues, s’ajoutant aux autres revenus de l’année en question.

L’impôt des personnes physiques étant progressif et par tranche, la perception différée des indemnités relatives à l’aide juridique conduit à majorer artificiellement les revenus de l’année de leur perception et, en conséquence, le taux global d’imposition.

Afin d’atténuer la progressivité de l’impôt lorsque les revenus imposables comprennent des revenus non périodiques ayant un caractère plutôt exceptionnel, le législateur a instauré un mécanisme de taxation distincte pour ces arriérés de profits, mécanisme aujourd’hui prévu à l’article 171, 6°, 2ème tiret du C.I.R.1992.

Cet article dispose que les arriérés d’honoraires seront taxés distinctement, au taux moyen afférent à l’ensemble des autres revenus imposables, pour autant que :

  • les sommes versées se rapportent à des actes accomplis pendant une période d'une durée supérieure à 12 mois ;
  • l’indemnité n'ait pas, par le fait de l'autorité publique, été payée au cours de l'année des prestations mais ait été réglé en une seule fois.

L’article précise encore que le bénéfice de la taxation distincte n’est réservé qu’à « la partie qui excède proportionnellement un montant correspondant à 12 mois de prestations ».

Longtemps l’administration fiscale a considéré que les termes « par le fait de l’autorité publique » impliquaient que le paiement différé de l’indemnité soit imputable à une faute ou à une négligence de ladite autorité. Cette interprétation a clairement été écartée par la Cour constitutionnelle, à l’occasion d’un arrêt n° 30/2016 du 25 février 2016. Suite à cet arrêt, l’administration fiscale a exposé sa nouvelle position, dans le cadre d’une circulaire n°30/2016 du 22 septembre 2016 (deuxième version). Elle y confirme que les indemnités dites « pro deo » doivent être taxées :

  • globalement, au taux progressif pour la partie qui correspond proportionnellement à douze mois de prestations ;
  • distinctement, au taux d’imposition moyen relatif aux autres revenus pour le solde ;

La ventilation ainsi préconisée par l’administration n’est pas sans poser d’importantes difficultés pratiques : une majorité de confrères ayant déclaré la totalité de leurs indemnités d’aide juridique, au titre d’arriérés d’honoraires, ont été contraints de justifier, parfois plusieurs années après, l’importance des prestations effectuées.

Interpelé, le Tribunal de première instance de Namur, division Namur, a récemment décidé d’interroger de nouveau la Cour constitutionnelle (jugement du 24 juillet 2019, MB du 3 octobre 2019, rôle C.C. n° 7242). En substance, dans sa première question, le Tribunal se demande s’il n’est pas discriminatoire de ne réserver le bénéfice de la taxation distincte qu’aux indemnités versées tardivement, par le fait de l’autorité publique, en contrepartie de prestations effectuées sur une période supérieure à 12 mois et d’en exclure donc les indemnités payées suivant les mêmes modalités, mais couvrant des prestations effectuées sur une période inférieure à 12 mois.

L’on peut, en effet, s’interroger sur la pertinence de ce critère relatif à la durée des prestations : qu’elles se rapportent à des prestations effectuées sur une période de plus ou moins de 12 mois, les indemnités payées tardivement par le fait de l’autorité ont exactement les mêmes conséquences sur la progressivité de l’impôt. Or, il s’agit précisément du seul objectif poursuivi par le législateur : atténuer la progressivité de l’impôt en cas de paiement tardif de profits, par le fait de l’autorité publique.

Compte tenu de l’objectif poursuivi par le législateur, il peut apparaître comme injustifié de ne limiter la taxation distincte qu’aux seules indemnités relatives à des prestations effectuées sur une période de plus de 12 mois. 

Rappelons que si la Cour devait conclure à l’existence d’une discrimination, la disposition en cause ne cesserait pas pour autant d’exister. Cet éventuel constat d’inconstitutionnalité pourrait toutefois constituer un élément nouveau qui pourrait être invoqué à l’appui d’une demande de dégrèvement d’office sur la base de l’article 376 du C.I.R./1992.

Affaire à suivre donc…mais, comme pour le paiement des indemnités « pro deo », la patience est de rigueur !

 

Sarah Lemmens

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