L'aide légale en Haïti

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En 2009, l’O.N.G. américaine International Lawyers Senior's Project (I.S.L.P.), basée à New York , s’associe au projet semi-officiel du Système National d’Aide Légale (SYNAL) haïtien pour assurer la formation des avocats engagés dans les Bureaux d’Aide Légale (BAL) qui commencent à voir le jour en Haïti. Plusieurs avocats québécois, français et belges participeront à ce projet de formation entre 2009 et 2011. L’aide légale n’est pas inconnue en République d’Haïti. Une loi de 1864 consacre le principe de l’aide légale et de l’assistance judiciaire ; cette loi ne semble, toutefois, pas avoir eu d’effet à défaut d’arrêtés d’exécution. A partir de 1999, sous l’impulsion de Maître René Magloire, avocat au Barreau de Port-au-Prince et ancien Ministre de la Justice, se met progressivement en place l’idée de créer un Système National d’Aide Légale (SYNAL) avec la collaboration des Barreaux et des autorités judiciaires. Ce projet ne se concrétisera toutefois qu’à partir de 2007 avec le concours d’une ONG internationale basée en Suède, ILAC, et de la MINUSTAH (Mission des Nations-Unies en Haïti). Nirva LOUIS, ancienne directrice haïtienne d’ILAC, résume l’aventure lors du Colloque sur le Système National d’Assistance Légale en Haïti, qui s’est tenu à Port-au-Prince les 5-6 juillet 2012 : « Tout a commencé avec l’aide préparatoire au MJSP pour la mise en place d’un système d’assistance légale, document servant de fiche technique de la phase préparatoire du projet, soumis au MJSP la première quinzaine de  février 2007 et recevant l’accord du ministre de la Justice, Me René Magloire, le 23 février de la même année). Les tâches listées dans ce document ont été complétées en octobre 2007 avec la présentation des résultats des travaux d’une consultation confiée par ILAC à une ONG locale du Nord du pays, le bureau d’assistance juridique (BAJ), expérimentée dans le domaine de l’aide légale. La conclusion du mandat du BAJ dans le cadre de cette consultation a été l’identification d’un bureau modèle seyant aux réalités économiques et socioculturelles d’Haïti. La mise en œuvre du projet allait créer une synergie sans précédent dans la communauté des acteurs juridiques nationaux et internationaux. Aussi, des sessions de discussions ont réuni avant l’ouverture, en février 2008, des deux premiers bureaux (Saint Marc et Petit-Goâve) qui ont servi de bureaux d’expérimentation, le Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique (MJSP), le barreau de Port-au-Prince, le Groupe d’Assistance Juridique (GAJ), le BAJ, la Fédération des Barreaux d’Haïti -FBH, l’Organisation internationale de la Francophonie, le National Center for State Courts (NCSC/USAID), la MINUSTAH et ILAC. Outre la MINUSTAH, principal partenaire, pourvoyeur de l’aide logistique et de l’aspect monitoring du projet, la coopération de NCSC/USAID (contribution aux coûts de fonctionnement des deux premiers BAL et participation à l’élaboration du document initial de projet), de l’Organisation internationale de la Francophonie (distribution de code aux sept premiers BAL), de l’International Senior Lawyers Project (formation allant de 3 à 6 semaines assurée par des professionnels étrangers depuis 2009) a été substantielle dans le développement du projet qui, depuis sa phase d’étude en février 2007 jusqu'en mars 2011, a bénéficié d’un financement d’environ 3 millions de dollars américains de l’Agence Suédoise pour le développement internationale (ASDI) à travers des fonds alloués à ILAC et MINUSTAH.

Dès février 2008, le projet était dans sa phase opérationnelle. L’expérience probante des juridictions de Saint Marc et Petit-Goâve, avait décidé l’ILAC à investir dans l’extension des bureaux d’assistance légale (BAL) à toutes les juridictions judiciaires de première instance du pays. Dans le même temps, le document initial du projet SYNAL, clair sur les objectifs poursuivis pour une meilleure distribution de la justice et dans lequel il est consacré le principe de l’appropriation du système par l’Etat et les modalités pour y parvenir (loi portant création du SYNAL, financement graduel à hauteur de 20% par an à partir de 2009), était élaboré conjointement par ILAC, MINUSTAH et NCSC/USAID et soumis à l’appréciation du MJSP en juin 2008.

A la fin de l’année 2008, le réseau comptait 9 éléments (par ordre d’ouverture, les BAL de Saint Marc, Petit-Goâve, Port-de-Paix, Jacmel, Cayes, Jérémie, Hinche, Croix-des-Bouquets, Fort-Liberté). Il a fallu attendre août 2009 pour l’établissement du dixième, celui des Gonaïves. Jusque-là, mis à part, une contribution financière de la USAID à travers NCSC pendant sept (7) mois, le financement pour l’exécution du projet étaient alloués par le ministère des Affaires étrangères de la Suède et l’Agence Suédoise pour le Développement Internationale (ASDI). Une tentative de partenariat avec une ONG canadienne l’Association Internationale des Avocats de la Défense (AIAD) pour faciliter un cofinancement des agences canadienne et suédoise de développement (ACDI et ASDI) pour le projet a échoué au dernier trimestre de 2008. L’annonce du retrait de la coopération suédoise dans la région Amérique latine - Caraïbe a ébranlé le processus d’extension du réseau. Les fonds suédois arrivaient à terme en décembre 2009 et au cours du deuxième semestre de 2009, les efforts étaient canalisés dans la recherche de fonds pour au moins assurer le maintien des bureaux créés. Informés du risque de coupure, la communauté des partenaires techniques et financiers du secteur de la justice était mobilisée sous la coordination du PNUD pour un mémorandum of Under standing - MOU, devant aboutir à un financement en commun du programme. Ce MOU prévu pour être signé à la fin de l’année 2009 n’a pas pu l’être et il s’est produit, le 12 janvier 2010, le séisme qui a tout fait basculer, la plupart des acteurs s’étant trouvé d’autres priorités. Cette situation allait porter le Gouvernement suédois à accorder des fonds pour une année de plus (jusqu’en mars 2011), ce qui a permis la création, en mai 2010, du BAL du Cap-Haïtien, portant ainsi le système à onze (11) bureaux. Il a fallu frapper à d’autres portes. Au mois de décembre 2010, suite à une proposition présentée au Secrétariat technique de l’UNASUR en Haïti un mois plus tôt, ILAC a reçu l’accord de l’organisation pour un financement de 10 mois (avril 2011-janvier 2012). Ces fonds de l’UNASUR ont permis l’élargissement du SYNAL à sept (7) autres juridictions (Port-au-Prince, Aquin, Mirebalais, Grande Rivière du Nord, Miragoâne, Coteaux et Anse à Veaux, ce dernier n’a pas pu vraiment être fonctionnel). Au milieu du mois de décembre 2011, une réunion entre l’UNASUR et la MINUSTAH traitait d’un cofinancement UNASUR- CVR/MINUSTAH pour le système (CVR, l’unité de réduction de la violence communautaire allait prendre en charge le financement des BAL (3) prévus pour la juridiction de Port-au-Prince, alors que l’UNASUR allait continuer à financer les juridictions de province. La Direction exécutive d’ILAC a de, manière abrupte, été informé de la cessation du financement de l’UNASUR au 31 janvier 2012. 

Mise en œuvre – Acteurs et domaine d’intervention Les objectifs tant généraux que spécifiques définis préalablement dans le document initial de projet peuvent se regrouper sous le label de l’amélioration de la distribution de la justice. Ils renseignent aussi sur le statut socioéconomique des bénéficiaires. Il est de notoriété publique ici que ceux qui sont économiquement faibles ne peuvent pas ester en justice. Le projet SYNAL a offert à cette couche de la population la possibilité de jouissance de ce droit grâce à l’établissement des bureaux d’assistance légale, quintessence du projet. L’exécution du projet a alors demandé l’identification des différents acteurs utiles à la réalisation de cette noble tâche, leur rôle, leur moment et mode d’intervention - qu’il s’agisse de l’Etat par le biais du Ministère de la justice et des autorités judiciaires locales, de la société civile organisée (les barreaux) de la coopération internationale (bailleurs et partenaires techniques au projet). Elle a aussi requis l’identification des champs et mode d’intervention. Les acteurs - leur rôle Le Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique (MJSP): dès la phase d’étude, le MJSP a été informé et associé au projet (participation de cadres du ministère aux réunions ayant précédé le lancement des deux premiers BAL, aux ateliers de suivi/évaluation, aux ateliers techniques etc.). Très tôt, le Gouvernement a été sensibilisé sur les engagements à prendre pour la prise en charge financière graduelle et l’institutionnalisation du système. Les autorités judiciaires des juridictions (doyens et Commissaires du Gouvernement): ces derniers, devant être régulièrement les interlocuteurs du personnel judiciaire des BAL, ont participé activement aux réunions préparatoires à l’établissement des BAL dans leur juridiction respective. Ils choisissent conjointement avec le bâtonnier des juridictions le personnel des BAL (hormis les assistants) et le local abritant le bureau. Ils sont également consultés lors des exercices de monitoring sur le travail effectué par les BAL et sont toujours invités à témoigner et/ou produire des remarques sur le fonctionnement des BAL aux ateliers suivi/évaluation. Les Barreaux: il s’agit du partenaire de proximité des BAL. Ils en sont les réservoirs de ressources humaines. Tout le personnel judiciaire (du coordonnateur aux assistants stagiaires) en est issu. Ils travaillent en symbiose avec les BAL vers lesquels ils peuvent acheminer des stagiaires annuellement et/ou en recevoir en comptant le travail accompli par ces jeunes avocats au niveau des BAL comme stage pour l’exercice de la profession d’avocat. Les autorités pénitentiaires: elles donnent l’accès aux centres carcéraux Les partenaires techniques et financiers: ces derniers pourvoient au financement du projet et à sa gestion en attendant la prise en charge par l’Etat. Les principaux bailleurs : Le Gouvernement suédois à travers l’ASDI et le ministère des Affaires étrangères et l’UNASUR. Mis à part l’ILAC et la MINUSTAH (monitoring du projet) partenaires de toujours dans sa mise en œuvre, le projet a reçu la contribution de l’USAID à travers NCSC et PROJUSTICE, de l’OIF (documentation pour 7 BAL), de l’ISLP (formation).

Champ d’intervention, moyen et méthodologie Il est vrai que le document initial de projet considère la matière pénale comme champ d’intervention privilégié des BAL en laissant toutefois les portes ouvertes au traitement de cas civil. De toute façon, la condition sine qua non pour la prise en charge d’un dossier par les BAL est la qualité de démuni du justiciable, qu’il soit accusé ou victime, homme ou femme, mineur ou adulte (même s’il faut admettre que les clients des BAL sont presque généralement des accusés) L’outil de mise en œuvre du projet le BAL. - Cet outil n’est pas isolé, il fait partie d’un système. Sa composition et son opérationnalisation répondent aux principes de l’uniformisation établis dans le document de projet. Le mode de fonctionnement des BAL et les procédures à suivre sont consignés dans le document de projet et le « manuel de gestion du BAL ». La méthode d’intervention des BAL est proactive. Le BAL cherche ses clients dans les divers centres carcéraux, les tribunaux et cours et intervient à tous les degrés de juridiction, le personnel judiciaire étant composé d’avocats professionnels et de stagiaires, et dans certains cas, de certifiés (qui ne peuvent intervenir qu’au niveau de la juridiction de paix) en raison des limitations en ressources humaines dans certaines juridictions. » [1]. Le problème de l’accès à la justice pour les plus démunis est en HAITI représente un défi considérable tenant à différents facteurs :

  • L’énormité des problèmes socio-économiques ; il est inutile de s’étendre sur le sujet qui est connu et flagrant, la destruction de PORT-AU-PRINCE et les problèmes qu’elle a engendré ayant encore aggravé la situation ;
  • La corruption est encore courante et les infrastructures étatiques insuffisantes ;
  • Le manque général de formation des acteurs judiciaires; il faut ajouter l’absence de recueils de jurisprudence, d’ouvrages de doctrine, les difficultés d’accès à des sources de documentation et des conditions matérielles de travail difficiles.

Le SYNAL n’a actuellement aucune existence juridique et repose sur la collaboration avec la MINUSTAH qui y a délégué un de ses collaborateurs haïtien reconnu comme « coordinateur national ». Sur le plan des objectifs, le SYNAL  s’est limité à l’organisation des BAL dans certains arrondissements, dont la légitimité vient d’un consensus entre le Doyen des Juges du Tribunal de Première Instance, qui préside le Tribunal, du Commissaire du Gouvernement (Procureur) près le Tribunal de Première Instance et du Bâtonnier de l’Ordre des Avocats local. Ces BAL, qui se conçoivent comme un grand cabinet d’avocats, se structurent autour d’un coordinateur nommé par le « coordinateur national » sur présentation du Doyen des Juges (dans certains cas après concertation avec le Commissaire du Gouvernement et le Bâtonnier) ; ce coordinateur est en principe un avocat dit militant ; il est assisté sur le plan administratif par un comptable et par une secrétaire ; sur le plan de l’encadrement des « balistes », il est assisté d’un avocat superviseur chargé de la formation et du contrôle des tâches juridiques et d’un avocat militant chargé d’assister les « balistes » aux audiences et d’apporter la caution de sa « patente ». Enfin, l’activité des BAL repose sur une dizaine d’avocats « stagiaires » (il est à souligner que nombre de ces « stagiaires » ne sont pas « avocats » mais simplement licenciés en droit, « certifiés », voire encore étudiants). L’activité du « BAL » se limite strictement à la défense au pénal et à la représentation des parties civiles, les autres branches du droit étant exclues de l’aide légale. La tâche est considérable et ingrate ; les détentions arbitraires et illégales sont innombrables (on estime à plusieurs milliers le nombre de personnes détenues sans mandat ou sous couvert de mandats irréguliers) ; les procédures sont obsolètes (le Code Pénal et le Code de Procédure Pénale datent de Napoléon Bonaparte) ; les problèmes matériels quasiment insurmontables (les déplacements sont difficiles et longs, l’électricité est rare, les fournitures sont onéreuses et non-adaptées…).

La formation de base des acteurs judiciaires, malgré les efforts importants des autorités tant nationales qu’internationales, est généralement insuffisante. Si le concept du BAL paraît être une réponse originale au problème de l’aide légale en Haïti dont les ressources sont réduites à l’extrême  et dont la grande majorité de la population n’aurait sinon pas accès à une défense, la formule mériterait d’être améliorée. C’est ainsi que l’aide légale devrait être ouverte à des avocats qui sans être membres du BAL sont disposés à prêter leurs services aux plus démunis, ce qui aurait le mérite d’étendre l’offre de services et de permettre le libre choix de l’avocat préconisé par les standards internationaux. Cette formule permettrait également d’alléger la tâche des balistes par un apport extérieur permettant une meilleure responsabilisation des avocats et un suivi plus efficace des dossiers. Partant de ce constat et après que ILAC et l’UNASSUR aient mis fin à leur collaboration avec le SYNAL, I.S.L.P. a organisé les 5 et 6 juillet 2012 un colloque à Port-au-Prince sur l’avenir du système d’aide légale en Haïti ; ce colloque présidé par Maître MAGLOIRE a réuni les divers acteurs du monde judiciaire (Barreau, magistrats), des représentants d’O.N.G. actives dans la défense des plus démunis (entre autres A.S.F. Canada), et des représentants du gouvernement. Le colloque a adressé au Ministre de la Justice diverses propositions en vue d’améliorer le système, le problème restant le financement. A l’heure actuelle, quatre BAL sont en activité à Port-au-Prince, les BAL de province ayant dû interrompre leurs activités faute de moyens. Un projet de loi est à l’étude sans que l’on puisse prévoir dans quel délai il pourra être voté par le Parlement. Jean-Louis LIBERT


[1] Extrait des Actes du Colloque sur le Système National d’Assistance Légale en Haïti, PORT-AU-PRINCE, 5-6 juillet 2012.

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