Stagiaires, pas indigents !

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Le 30 janvier 2024, nous recevions un info ordre « Spécial Stage » annonçant, entre autres, l’indexation des rémunérations minimales des stagiaires.

Ainsi, le montant minimal est indexé pour tous les seuils, à l’exception de la rémunération pour les heures complémentaires des stagiaires de troisième année, qui passe de 26,84 € en 2023 à 26,70 € en 2024, ce qui représente une diminution de 14 centimes de l’heure supplémentaire par rapport à 2023. La raison est « simple » : une erreur de calcul pour l’année 2023, que l’indexation de la rémunération de 2024 a vraisemblablement voulu corriger.

Néanmoins, cette communication est l’occasion idéale de revenir sur la question de la rémunération des stagiaires et, plus particulièrement, des stagiaires de première année.

La Conférence Libre du Jeune Barreau, que nous présidons et vice-présidons actuellement, a notamment pour vocation d’accompagner les jeunes avocates et avocats dans leur intégration au sein de notre barreau.

Si la situation des stagiaires s’est améliorée ces dernières années par l’adoption d’un statut protégé par le contrat de stage obligatoire, d’une rémunération minimale et de garanties diverses, il n’en demeure pas moins que nous constatons malheureusement toujours, à l’heure actuelle, la précarité financière des stagiaires qui débutent le barreau.

En 2024, le montant indexé de la rémunération minimale pour un stagiaire de première année au barreau de Liège-Huy est fixé à 1.367,52 € brut par mois. En outre, lors de sa première année de stage, le stagiaire ne bénéficie généralement d’aucune clientèle personnelle et s’il arrive à prester des dossiers dans le cadre de l’aide juridique, il n’en sera pas crédité avant une voire deux années.

Le Code de déontologie ne permet par ailleurs généralement pas à l’avocat d’exercer une activité commerciale complémentaire, sauf autorisations particulières. Par conséquent, le stagiaire de première année bénéfice d’un revenu brut mensuel de 1.367,52 €.

Nous pouvons raisonnablement estimer que le revenu mensuel net du stagiaire de première année est, en 2024, de 1.079,47 € (en déduisant du revenu brut le montant minimum des cotisations sociales, soit 288,05 € par mois selon l’INASTI, et en considérant qu’il n’a aucun frais et qu’aucun impôt n’est à payer).

Le seuil de pauvreté en Belgique en 2023 est de 1.366 € net par mois pour une personne seule. Il en résulte que la rémunération minimale du stagiaire de première année se situe 286,53 € en dessous de seuil de pauvreté belge.

La Conférence Internationale des Barreaux (CIB), dont le barreau de Liège-Huy a accueilli le Congrès en décembre 2023, a adopté une résolution sur le statut juridique et la rémunération des jeunes avocats, estimant que le contrat de stage doit prévoir une rémunération qui ne peut être inférieure au seuil de pauvreté. Force est de constater que la rémunération actuelle des stagiaires de première année au barreau de Liège-Huy ne respecte malheureusement pas cette recommandation.

Par ailleurs, nous relevons également que ce revenu est situé bien en deçà du seuil d’indigence fixé par le législateur belge à l’article 508/13/1 du Code judiciaire pour obtenir le bénéfice de l’aide juridique totalement gratuite (personne isolée dont les revenus mensuels nets sont inférieurs à 1.526 €).  

Les indigents sont définis par le Code judiciaire comme « les personnes dont les moyens d’existence sont insuffisants ou […] les personnes y assimilées » (article 508/13, al. 1er, du Code judiciaire). Les avocats-stagiaires ne devraient pas se retrouver dans cette catégorie.

Nous estimons donc que, par application de la maxime « stagiaires, pas indigents ! », mais aussi pour se conformer à la 11ème résolution du 37ème Congrès de la CIB, le revenu minimal brut du stagiaire de première année devrait être fixé au seuil d’indigence défini pour l’accès à l’aide juridique, à savoir 1.814,05 € bruts pour l’année 2023 (soit 1.526 € + 288,05 €). Cela constituerait une augmentation de la rémunération des stagiaires de première année de 446,53 € bruts par mois.

Certes, cette augmentation devrait être supportée par les maîtres de stages dont la situation économique n’est, parfois, pas optimale. Il en va toutefois selon nous de la cohérence même du système. Nous estimons que la rémunération actuelle, en deçà du seuil de pauvreté belge et du seuil d’indigence, constitue un frein considérable à l’accès à la profession, et plus précisément pour les aspirants issus de milieux socio-économiques moins favorisés.

Par ailleurs, si les avocats stagiaires sont des indépendants et non des employés, le début d’exercice de la profession et les obligations qui en découlent, à tout le moins pour la première année, ne permettent pas au stagiaire de développer librement son activité économique de manière significative.  

En d’autres mots, le stagiaire de première année ne jouit pas encore de la capacité d’embrasser pleinement la libre concurrence du métier d’avocat indépendant, raison pour laquelle il y a lieu de fixer une rémunération minimum contraignante.

Selon l’article 3.12 du Codex, la rémunération minimale est fixée par les Ordres, bien qu’elle ne puisse être inférieure au seuil indexé prévu par le Codex. L’Assemblée Générale de l’OBFG vient de modifier substantiellement les montants qui seront applicables à partir de la rentrée judiciaire 2024 (voir la Tribune n°249 du 15 février 2024). Le montant minimal sera désormais de 1.450 € bruts par mois pour les stagiaires de 1ère année (contre 1.133,74 € bruts en 2023).

Il s’agit d’une avancée que nous saluons mais qui maintient toutefois la rémunération des stagiaires de première année en dessous du seuil de pauvreté et encore plus loin du seuil d’indigence.   

L’Ordre, par la voie de son Conseil, est compétent pour fixer un seuil minimal supérieur à celui fixé par l’OBFG, comme c’était le cas pour 2023 à concurrence d’environ 215 € bruts par mois. Nous invitons le Conseil de l’Ordre à poursuivre dans cette voie et à fixer le montant minimal de la rémunération mensuelle des stagiaires de première année à 1.814,05 € bruts pour la rentrée judiciaire 2024 afin d’atteindre le seuil d’indigence de l’aide juridique. Il s’agirait donc d’une augmentation de 364,05 € bruts par rapport au seuil minimal fixé par l’OBFG.

Nous suggérons également qu’ à l’avenir la rémunération minimale des stagiaires soit adaptée en fonction de l’évolution de ce seuil d’indigence.

Selon nous, l’indépendance de l’avocat ne peut réellement se concevoir sans une indépendance financière qui, il est certain, ne peut exister dans l’hypothèse d’une rémunération ne permettant pas d’avoir des « moyens d’existence suffisants ».  

Louis ADAM
Président de la Conférence Libre du Jeune Barreau
Administrateur de la Conférence Internationale des Barreaux

Benoit HANOT
Vice-Président de la Conférence Libre du Jeune Barreau

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