Sans le latin, sans le latin, conclure nous emm…

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Vous n’avez pas pu rater l’information : la Communauté française envisage de rendre l’enseignement du latin obligatoire pour tous les élèves du premier degré de l'enseignement secondaire[1].

Je laisserai aux sceptiques, idéalistes, partisans de la rigueur et de la méthode ainsi qu’aux autres cyniques le soin de débattre du bien-fondé de ce projet.

Cependant, en me penchant sur le sujet au travers de la presse, j’ai pu constater que certaines questions posées à l’occasion du débat concernent directement ou indirectement notre profession.

Latin ou pas latin ?

La question ne se pose pas que lorsque vient l’heure d’inscrire un enfant dans l’enseignement secondaire ou de choisir ses options.

  • Le latin n’est pas qu’une langue morte, inutile.

Les juristes et les botanistes le savent bien : la langue latine demeure couramment utilisée.

Elle permet de s’envoyer des noms de fleurs (Idœum rubus[2] !> mais aussi d’invoquer certains principes généraux de droit, qui n’ont parfois pas encore exprimé toutes leurs nuances en français.

Parmi les plus connus figurent :

  • non bis in idem ;
  • Nemo auditur propriam turpitudinem allegans ;
  • Patere legem quam ipse fecisti ;
  • Mala fides superveniens non nocet ;
  • Audi alteram partem.

Gageons qu’une loi « pot-pourri 24bis » ne supprimera pas définitivement toute possibilité de faire référence à ces adages, ni ne supprimera les locutions dont nous usons et abusons.

Nos écrits de procédure ne manqueraient-ils pas un peu de piquant sans leurs « quod non », « ad hoc » et autres « Ex aequo et bono » ?

  • Attention toutefois à ne pas abuser des bonnes choses.

L’usage de la langue latine par les avocats demeure limité.

La Cour de Cassation n’admet que l’usage d’expressions ou d’adages généralement connus et admis :

« 1. En vertu de l'article 2 de la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire, devant les juridictions civiles de première instance dont le siège est établi dans les provinces d’Anvers, de Flandre orientale, de Flandre occidentale et de Limbourg et dans l’arrondissement de Louvain, toute la procédure en matière contentieuse est faite en néerlandais. En vertu de l'article 24 de la loi précitée, devant toutes les juridictions d’appel, il est fait usage pour la procédure de la langue dans laquelle la décision attaquée est rédigée. L’article 40 de la même loi prévoit que cette règle est prescrite à peine de nullité et que celle-ci est prononcée d’office par le juge.
2. Un acte est réputé avoir été rédigé dans la langue de la procédure lorsque toutes les mentions requises en vue de sa régularité ont été rédigées dans cette langue. L’emploi d’expressions généralement connues et admises dans la langue juridique ou d’adages, rédigés dans une autre langue, ne déroge pas à ce principe.
3. L’adage « nul ne plaide par procureur » est une expression généralement connue et admise, appartenant au langage juridique d’un grand nombre d’Etats de l’Union européenne. (…)
» (Cass., 22 mai 2009, RG C.08.0300, http://www.cass.be (29 juin 2009) ou J.T. 2009, liv. 6357, p. 407).

Et encore :

« 3. De Latijnse rechtsspreuk “accessorium sequitur principale” is een in het recht algemeen gekende en aanvaarde term, die gebruikt wordt om een bepaald rechtsbeginsel kernachtig uit te drukken.
Het arrest, dat gesteld is in het Nederlands, schendt de artikelen 37 en 40 van de wet van 15 juni 1935 op het gebruik der talen in gerechtszaken niet door het betreffende rechtsbeginsel in het Latijn uit te drukken
».

Traduction libre : l'adage latin « accessorium sequitur principale » est généralement connu et admis en droit et est utilisé afin d'exprimer de manière concise un certain principe du droit. Un arrêt qui exprime ce principe du droit en latin ne viole pas les articles 37 et 40 de la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire (Cass., 16 mars 2007, RG C.06.0067.N, http://www.cass.be (15 juin 2007)).

Les praticiens seront donc bien inspirés d’éviter les arguments de type : « Vu les premières conclusions de Monsieur X., qui voulait croire que les demandeurs mettraient fin aux usurpations à qui ont nécessité la procédure. Errare humanum est, perseverare … ».

  • Gardons une juste mesure

Il est couramment admis que le latin permet(trait) une gymnastique particulière de l’esprit, particulièrement utile pour acquérir rigueur et méthode.

Utiliser des locutions latines ne devrait cependant pas suffire pour paraître intelligent ou briller, telle l’incarnation d’un vieil universitaire grisonnant, nostalgique et mélancolique d’un temps à jamais révolu.

La langue latine, tout comme la langue française, se compose avant tout de mots.

Aussi, nous devrions consacrer notre temps au juste choix des mots : convaincants, adéquats, pertinents, (…), plutôt qu’à leur multiplication ou à l’usage inapproprié et cosmétique de formules latines.

Ad augusta per angusta…

Elisabeth KIEHL

Elisabeth Kiehl


1 Pacte d'excellence
2 Idœum Rubus

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