Avocat et politique : activités compatibles ? Acte II

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Après l’interview de Fabian CULOT, du mouvement réformateur, c’est au tour de Thibaud SMOLDERS, du parti socialiste, de « passer sur le gril ».

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 F.NATALIS : Pour planter le décor, peux-tu nous résumer ton parcours professionnel ?

Th. SMOLDERS : J’ai terminé mes études de droit à l’ULg en 2011. J’ai fait mon stage chez Me Alexis HOUSIAUX, à Huy de 2011 à 2014. Ce dernier était  bourgmestre de la Ville de Huy ; cela m’a permis de voir tout ce travail politique et a renforcé mon engagement au niveau communal.  Quand j’ai fini  mon stage, en 2014, je suis devenu associé avec Mes Tanguy KELECOM et François ANCION. Cela fait maintenant 3 ans.

 F.NATALIS : As-tu découvert la politique par hasard, via ton maître de stage, ou étais-tu déjà impliqué auparavant ?

Th. SMOLDERS : Je ne proviens pas d’une famille de politiques.  Pendant mes études à l’université, je n’étais pas spécialement impliqué, même si j’avais déjà  clairement un sentiment de gauche et avait déjà de nombreux débats avec mon ami, Maxime TOLLER. Il nous arrivait de ne plus nous parler pendant 24, voire même 48h !

C’est donc avec mon stage, chez Me Alexis HOUSIAUX, que j’ai vraiment découvert la politique.  Cela m’a donné envie de m’engager pour ma commune et ça m’a aussi montré qu’il était possible de concilier la vie d’avocat et d’homme politique.

 F.NATALIS : Raconte-nous ta 1e expérience politique ?

Th. SMOLDERS : Je me suis présenté pour la première fois aux élections communales de 2012 à Awans, ma commune d’origine. Cela n’a pas été facile : la section locale  était divisée en plusieurs factions et c’était un peu la guerre entre elles. Le fait d’être jeune a joué en ma faveur et j’ai pu obtenir une place relativement correcte sur la liste. J’ai fait une grosse campagne électorale (je me levais à 4h du matin pour pouvoir travailler au cabinet jusqu'à 15 h, puis aller faire du porte-à-porte jusqu'à 20h). Mais ça a payé puisque j’ai été élu et suis donc conseiller communal à Awans.

 F. NATALIS : Et c’était comment le boulot de conseiller communal ?

Th. SMOLDERS : Lorsqu’on est conseiller communal de la majorité, on n’a pas grand-chose à faire, il faut quand même l’avouer.  C’est souvent du soutien aux votes de la majorité. Cela représente un conseil communal par mois et 2 ou 3 réunions intra parti. Donc ça ne demande pas un gros travail, surtout dans une petite commune comme Awans. Il y aussi des mandats dans des ASBL (ce sont des mandats à titre gratuit), où, si nous, les élus, n’allons pas, personne n'ira. Et donc j’étais, à l’époque, secrétaire de L’Agence de Développement Local Economique d’Awans.

 F. NATALIS : Puis il y a eu un gros « coup d’état » politique en 2014 à Awans.

Th. SMOLDERS : En 2014, est arrivée une rupture politique à Awans : une motion de méfiance a été votée à l’encontre du bourgmestre.  Il y avait clairement une dissension entre le bourgmestre et sa 2ème échevine qui a fini par un point de non-retour où finalement plus aucun des 2 n’est ni échevin, ni bourgmestre, et de nouvelles personnes ont été mises en place. La Fédération du PS m’a alors propulsé comme premier échevin et échevin des travaux et des finances, étant donné mon caractère « neutre » dans cette guerre interne. Je suis donc passé du côté de l’ « exécutif ».

 F. NATALIS : Et comment se passe cette expérience d’échevin ?

Th. SMOLDERS : Ça prend du temps, plus de temps qu’on ne pourrait le penser. Je dirais que le travail d’échevin est un bon 2/5ème temps : tous mes jeudis sont pris par le collège, une journée pour les réunions de chantier (vu que je suis échevin des travaux)  et une, voire deux soirées pour les  réunions du groupe PS.

Ce qui est plaisant dans ce travail c’est qu’il est complètement différent de celui d’avocat. Entendons-nous, j’adore mon travail d’avocat mais j’aime pouvoir  mettre mes bottes et aller sur un chantier. J’apprécie de  pouvoir porter des projets concrets, comme faire une place communale, un cimetière, etc.

 F. NATALIS : Qu’as-tu fait de tes mandats ?

Th. SMOLDERS : A partir du moment où je suis devenu échevin des Finances et où  j’ai  eu la tutelle des ASBL, j’ai démissionné de mes mandats dans les ASBL. Il ne me paraissait, en effet, pas déontologiquement possible de siéger dans une ASBL, dans un exécutif et d’exercer en même temps sa tutelle.

 F. NATALIS : As-tu facile de gérer tes deux professions ?

Th. SMOLDERS : On a l’avantage, en tant qu’avocat, d’être indépendant et de pouvoir gérer notre temps comme on veut. Le temps qu’on perd en journée, on peut le récupérer le soir ou à un autre moment le week-end. Je travaille énormément le soir et le week-end.

Depuis que je suis également devenu vice-président de la Fédération liégeoise du Parti Socialiste, je passe évidemment plus de temps du côté politique que du barreau mais, pour autant, je ne voudrais pas arrêter ma profession d’avocat. Je pense, comme Fabian CULOT l’a bien expliqué dans ta dernière interview, qu’il est important de pouvoir garder son indépendance financière et de ne pas dépendre totalement de la politique. C’est cette indépendance qui fait que, souvent, des avocats ont plus de liberté d’expression au niveau politique que d’autres personnes qui ne vivent que de la politique et qui ont besoin de celle-ci  pour vivre. Sans cela, eux  peuvent se retrouver du jour au lendemain sans rien du tout, alors que Fabian et moi, par exemple, si on n’a plus de politique, ce n’est pas grave, on revient dans notre bureau, on a un travail, on sait payer nos factures.  

Lorsqu’on me demande quel est mon métier,  je ne dis pas « je suis échevin ». Je dis que je suis avocat et que j’ai un mandat politique.

 F. NATALIS : Pour poser la même question que celle que j’avais posée à Fabian CULOT, qu’est-ce que tu penses de l’affirmation selon laquelle faire de la politique rapporte des clients ?

Th. SMOLDERS : Ma clientèle est principalement composée de particuliers, aucun institutionnel. La politique ne m’a rien apporté par rapport à cela. Au contraire, comme l’a dit Fabian CULOT, à un moment donné, j’ai même perdu des clients. Par exemple, lorsque je me suis présenté comme vice-président de la Fédération liégeoise du PS, c’est-à-dire lorsque j’ai eu une certaine médiatisation, j’ai perdu deux clients qui ne souhaitaient plus être défendus par mes soins. J’ai déjà eu des clients qui m’ont demandé d’intercéder en leur faveur pour trouver un logement au niveau de sociétés de logements. Outre le fait que déontologiquement ça ne se fait pas du tout, même politiquement, c’est impossible et malvenu.

F. NATALIS : Comment gères-tu la question du conflit d’intérêts entre tes deux professions ?

Th. SMOLDERS : Du côté de ma profession d’avocat, cela ne s’est pratiquement jamais présenté puisque, comme je l’ai dit, ma clientèle est composée de privés. Donc, à part le fait que je fais attention de ne jamais rencontrer la commune d’Awans en tant qu’adversaire, je n’ai pas de problème à ce niveau-là. Par contre, du côté politique, cela se présente régulièrement vu que ma clientèle comprend de nombreux particuliers domiciliés sur Awans. Lorsque le collège communal doit prendre des décisions qui concernent des clients,  je sors de la pièce pour ne pas prendre part à la décision.

 F. NATALIS : Comment expliques-tu que ta clientèle soit majoritairement d’Awans ? Ne penses-tu pas que c’est parce qu’ils savent, via ta dernière campagne électorale, que tu es avocat et que tu es à Awans ?

Th. SMOLDERS : Tout d’abord, ma famille vient d’Awans. Ensuite, j’ai un cabinet secondaire sur Awans et donc évidemment, quand  les gens cherchent un avocat sur Awans, il me trouve. Enfin, en tant que politique, je vais à de nombreux soupers, manifestations, etc. Je rencontre donc beaucoup d’Awansois.

 F. NATALIS : Parle-nous un peu des scandales au PS et de la façon dont tu es devenu vice-président de la  Fédération liégeoise du PS?

Th. SMOLDERS : Suite au scandale « PUBLIFIN », Willy DEMEYER a remis son mandat de président de la Fédération en jeu et a invité les vice-présidents de toute la Fédération à faire de même.  Des élections ont été organisées.  

Nous les jeunes, qui ne sommes évidemment absolument pas concernés par ces scandales, nous étions assez bien révoltés.  Nous souhaitions qu’il y ait plus qu’un seul candidat (Jean-Pierre HUPKENS, qui était décrit comme l’homme de Willy DEMEYER).

Nous étions un groupe de six jeunes : 2 anciens présidents des jeunes socialistes (Jonathan DAWANCE et Zoé ISTAZ-SLANGEN), le président actuel des jeunes socialistes (Pierre ETIENNE), une députée wallonne (Déborah GERADON), un militant (Arnaud NIZET) et moi. Nous nous sommes réunis et avons cherché d’autres personnes à présenter à l’élection afin de permettre un débat d’idées, redonner la parole aux militants. Comme personne n’était volontaire à la base, après discussion, nous avons conclu que c’était moi qui avais le meilleur profil pour me présenter à l’élection de la présidence, c’est ainsi que j’ai déposé ma candidature.

On s’est beaucoup donné dans la campagne. On a essayé de s’intéresser à tout le monde. On a pris les avis de tout le monde, que ce soit du jeune socialiste de 18 ans ou de l’aîné de 77 ans. Ce qui était plaisant, c’est qu’on a rencontré beaucoup de monde. De plus, malgré tous les scandales, j’ai vu des gens, de simples militants, qui croyaient vraiment à la gauche et qui te redonnaient de l’énergie.

Me présenter comme candidat, c’était un peu quitte ou double. Je pouvais très bien faire 5 % comme José HAPPART et plus personne n’aurait parlé de moi. Mais  finalement j’ai fait un score extrêmement haut par rapport à ce que nous avions attendu .

 F. NATALIS : Comment est-ce que le parti socialiste a pris le fait que tu te présentes à l’élection et ensuite tes résultats à celle-ci?

Th. SMOLDERS : Je pense qu’ils étaient contents d’avoir un jeune mais ils n’étaient pas contents d’avoir un concurrent. Après, les élections se sont bien passées. Je pense que le parti est sorti gagnant de cette élection et de ses débats. Suite au résultat des élections, le parti m’a nommé vice-président de la Fédération en juin 2017. J’ai également été désigné parmi les 3 membres de Liège au bureau de parti, à Bruxelles. C’est la réunion hebdomadaire avec les grands dirigeants du parti socialiste (Elio DI RUPO, Paul MAGNETTE, une partie des députés, etc.) où on décide des grandes lignes au niveau du PS.  Au niveau de la Fédération, il y a également une réunion  toutes les semaines où on décide des grandes lignes au niveau de la politique de Liège.

 F. NATALIS : Et tes associés, comment ont-ils pris la chose ?

Th. SMOLDERS : Avant de me présenter à l’élection pour la présidence,  j’ai sollicité l’avis de Me François ANCION et de Me Tanguy KELECOM. J’ai eu leur total soutien. Outre des associés, ce sont également des amis proches. Nous gérons chacun nos dossiers de notre côté mais, si j’ai un imprévu (ce qui arrive régulièrement maintenant), je peux compter sur eux.

 F. NATALIS : Quel impact ce changement a-t-il eu sur ta vie professionnelle et privée ?

Th. SMOLDERS : Maintenant je dirais que je suis un 3/5ème politique et 2/5ème avocat, mais on devrait plutôt parler en 7èmes pour compter les week-ends puisque, chaque fin de semaine, il y a toujours une activité ou une réunion à laquelle il faut aller. Je n’ai plus un week-end à moi. J’essaie de maintenir malgré tout une vie privée : les samedis après-midi sont consacrés à ma compagne tandis que les jeudis soir et dimanches matin le sont à mon équipe de basket.

 F. NATALIS : Comment vis-tu ce changement dans ton engagement politique?

Th. SMOLDERS : A la base, j’étais au niveau local (conseiller communal et puis échevin). Là, c’est clair, que je suis plutôt dans les hautes sphères. Si, au niveau communal, il peut déjà y avoir une certaine violence, là on voit vraiment le jeu politique. Parfois j’ai envie de clapper la porte et de dire "c’est bon, j’abandonne" mais, d‘un autre côté, ce poste à la Fédération me permet de rencontrer des militants sans mandat et pourtant tellement motivés (présents à toutes les réunions, toutes les activités), cela me rebooste.

 F. NATALIS : Quid pour le futur ? Awans en 2018 ou plus haut en 2019 ?

Th. SMOLDERS : Ma priorité restera sur Awans et, en 2019, on verra bien si la Fédération a besoin de moi et me le demande. Par contre, je suis contre le cumul de mandats politiques. Donc, soit je suis échevin, soit je suis député mais je ne serai pas député-échevin ou député-bourgmestre.

Le non-cumul permet de faire apparaître de nouvelles têtes. Ce n’est pas une question de bon ou mauvais travail, c’est une question d’appropriation du pouvoir : Quand on cumule, on s’approprie le pouvoir alors que, quand on ne cumule pas, on peut distribuer le pouvoir et plus on distribue le pouvoir, plus on a des équilibres.

Thibaud Smolders candidat a la presidence de la federation liege

 F. NATALIS : Merci, Thibaud, et bonne chance pour la suite.

 

 Propos recueillis par Florence NATALIS

 Flo boulot

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