Avocat et politique : activités compatibles ?

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Avocat et politique : activités compatibles ?

 

« La profession d’avocat est incompatible avec les emplois et activités rémunérées, publics ou privés, à moins qu’ils ne mettent en péril ni l’indépendance de l’avocat ni la dignité du barreau ». Nous connaissons tous cette petite phrase prévue à l’article 437 du code judiciaire qui limite les possibilités d’exercer un autre métier à côté de la profession d’avocat. En application de l’article 2.1. du code de déontologie et de l’article 21 du CODEX, tout avocat liégeois désirant exercer une autre fonction, doit solliciter l’autorisation préalable du conseil de l’ordre.

A part enseignant, il est une autre fonction qui concerne pas mal d’entre nous : politicien.

Le cumul avocat-politicien a récemment fait les choux gras de la presse ; le fameux « Kazakhgate » mettant en scène un homme à la fois avocat et ancien président du Sénat qui aurait agi pour obtenir une loi sur la transaction pénale dont a bénéficié son client.

Alors, compatible ou pas les métiers d’avocat et de politicien ?

Nous avons décidé d’interroger des confrères cumulant ces deux professions sur leur engagement politique et leur vision de ce cumul de fonctions.

Nous commençons notre tour des partis politiques par le Mouvement réformateur (MR) et Fabian CULOT, nouveau député régional et communautaire, représentant l’arrondissement de Liège.

 Photo Fabian Culot

F. NATALIS : Commençons par un bref résumé de ton parcours professionnel.

F. CULOT : Après mes études de droit entre 1997 et 2002 à l’ULg, j’ai intégré par l’effet quelque peu du hasard le cabinet ministériel de Richard MILLER (alors ministre de la Culture de la Communauté française NDRL). Lorsqu’il a été remplacé, j’ai travaillé un an pour Antoine DUQUESNE, alors président du MR. Après ces deux années, j’ai décidé d’entamer mon stage au barreau. J’ai intégré le cabinet d’avocats ELEGIS, à Liège, où j’ai été le stagiaire de Patrick HENRY. Je suis resté chez ELEGIS de 2004 à septembre 2015 et je me suis progressivement spécialisé dans les matières du droit administratif, avant de m’associer en septembre 2015 au cabinet LEXING.

 

F. NATALIS : Qu’est-ce qui t’a fait bifurquer de trajectoire après tes deux ans dans la politique ?

F. CULOT : Tout d’abord, ces deux expériences professionnelles m’ont montré à quel point la politique est un domaine rempli d’aléas. Ainsi, Richard MILLER a été remplacé comme ministre tandis qu’Antoine DUQUESNE a démissionné de la présidence du MR.

Par ailleurs, autant l’expérience politique était absolument passionnante, autant,  en qualité de juriste, j’avais envie d’approfondir les matières qui m’étaient chères et je me suis vite dit que c’est au barreau que je pourrais le faire. Rétrospectivement, je reste persuadé que c’était un bon choix : pour un juriste, l’expérience au barreau est une expérience absolument complémentaire et presque indispensable.

Une autre raison qui m’a poussé à entamer le barreau est une volonté de me garantir une indépendance par rapport à la politique dans la mesure où, lorsque l’on n’a jamais connu que la politique, je pense que l’on est extrêmement dépendant à l’égard d’un parti et que cela nuit à la liberté d’action et de pensée. Quand on a un métier à part entière sur le côté, on éprouve peut-être les difficultés liées à la compatibilité des engagements mais, à côté de cela, on a une liberté que celui qui n’a jamais connu que la politique n’a pas.

 

F.NATALIS : Peux-tu nous résumer ton parcours politique ?

F. CULOT : Mon engagement au MR (PRL à l’époque NDRL) a commencé à l’âge de 17 ans.  Personne dans ma famille n’avait fait de la politique avant moi et je ne proviens pas d’une famille avec des convictions politiques très marquées, ni à gauche, ni à droite. Ils ont été étonnés de mon engagement mais ne s’y sont jamais opposés. J’ai commencé avec une première candidature aux élections communales de 2000 où je n’ai pas été élu (j’étais en milieu de liste à Seraing) et, à partir de cette époque-là, j’ai pratiquement participé à toutes les campagnes électorales, qu’elles soient communales, mais aussi régionales ou fédérales.

J’ai aussi eu un assez long parcours au sein du parti au niveau des jeunes MR, d’abord au niveau de ma section locale à Seraing, ensuite au niveau de l’arrondissement de Liège, de la Province et enfin du Bureau national des jeunes MR.  Cette jeunesse politique a eu beaucoup d’importance pour moi. Tout d’abord, cela m’a bien fait connaître les arcanes du parti. Ensuite, c’est un lieu de discussions qui connaît encore une très grande liberté. C’est une bonne formation pour les débats que l’on peut avoir au niveau du parti. Enfin, c’est cet engagement au niveau des jeunes MR qui m’a fait perdurer dans la politique car, au départ, l’expérience vécue au niveau de la section locale avait eu plutôt pour effet de m’en décourager totalement ; l’ambiance y était difficile ;  un jeune impétueux n’y était pas nécessairement accueilli à bras ouverts.

 

F.NATALIS : Comment vis-tu ce cumul des fonctions ?  On sait que certains sont plus politiciens qu’avocats. Qu’en est-il pour toi ?

F. CULOT : Avant l’été 2017 et le bouleversement qu’il a apporté dans ma vie, je me sentais et j’étais vraiment avocat à part entière et à temps plein. J’avais un engagement politique qui, avec le temps, a pris de plus en plus de temps mais qui n’a jamais remis en cause le fait que j’étais d’abord et avant tout avocat.

Ce métier a cet avantage que son statut d’indépendant  permet une organisation assez libre de son temps de travail. Lorsque j’avais des activités politiques en journée, le temps de travail indispensable pouvait être compensé à un autre moment. Ce n’est évidemment pas le cas dans l’ensemble des métiers. Donc l’exercice de ce métier sous ce statut-là a été pour moi une chance et une opportunité pour pouvoir développer, sur le côté, un engagement politique dont je peux imaginer qu’il aurait été plus difficile à mener pour, par exemple, une personne sous un lien de contrat de travail.

 

F. NATALIS : Parle-nous de ce bouleversement de l’été 2017 et de son impact sur ton équilibre « avocat-politique ».

F. CULOT : En juin 2017, je suis donc devenu député régional et communautaire, représentant l’arrondissement de Liège.

Depuis, évidemment, les choses changent, même si on n’en est ici qu’à la rentrée. Mais je perçois bien qu’en termes d’emploi du temps, de rendez-vous, de réunions, etc., il y a évidemment un renversement qui s’est opéré. Je suis aujourd’hui essentiellement en politique mais je tiens plus que tout à garder un investissement au sein de mon cabinet.

 

F.NATALIS : Pourquoi garder cet investissement au sein du cabinet ?

F.CULOT : D’abord parce que le métier d’avocat est un métier qui demande beaucoup d’années d’investissement avant de pouvoir construire une activité indépendante, avant de pouvoir s’associer, et donc ça ne me paraît pas opportun de lâcher tout, indépendamment des efforts accomplis par le passé.

Ensuite, parce que, même si mon engagement politique constitue aujourd’hui l’essentiel de mon temps, ça reste un engagement et un mandat précaire (on vote en mai 2019) et je pense que, pour pouvoir garder cette liberté par rapport à la politique, il faut se donner les moyens de pouvoir reprendre une activité professionnelle à temps plein le jour où un mandat s’arrête.

Enfin, je pense aussi que c’est très enrichissant de pouvoir continuer à connaître des dossiers, à rencontrer des gens dans la sphère professionnelle. C’est très important pour comprendre les problèmes de la société.  Je trouve que c’est très complémentaire par rapport à l’activité politique qui doit être enrichie d’un ensemble d’expériences.

F.NATALIS : Tout cela pose évidemment la question du conflit d’intérêts.

F.CULOT : C’est une question qui ne me quitte jamais et sur laquelle je m’interroge énormément. On vit aujourd’hui un paradoxe : on souhaite que le politique soit pleinement investi dans son mandat, et peut-être, qu’il ne fasse que cela, et d’un autre côté, on souhaite qu’il ne soit pas dépendant de la politique et donc on l’oblige à avoir une activité sur laquelle il puisse se replier, les deux objectifs étant tout à fait inconciliables.

Selon moi, une des manières de les concilier est d’être extrêmement prudent sur le plan pécuniaire. Ce qui choque aujourd’hui, à juste titre, c’est avant tout le cumul de rémunérations. Si l’on est déjà très vigilant sur cette question, on peut, me semble-t-il, déjà alléger le problème.

Ensuite, la gestion du conflit d’intérêts est une gestion qui doit être réfléchie et demeurer raisonnable. Je veux être extrêmement vigilant par rapport à cela mais je veux aussi dire qu’il ne faut pas faire du conflit d’intérêts une paranoïa, ce qui, je le crains, est la voie que d’aucuns voudraient emprunter aujourd’hui.  Or, le risque est d’une certaine manière de ne plus permettre aux politiques de s’exprimer qu’au regard des choses qu’ils ne connaissent pas car tout sujet que l’on maîtriserait, parce qu’on le connaît d’une manière ou d’une autre, serait un sujet qui ne pourrait plus être abordé sous peine d’être accusé de conflit d’intérêts. Je pense que c’est éminemment dangereux et si ce sentiment est évidemment dû au fait que certains ont vécu de réels conflits d’intérêts avec souvent même des enrichissements personnels, il ne faut pas, sur la base de ces excès ponctuels et individuels, faire des élus des gens totalement en déconnexion avec la réalité.

 

F. NATALIS : Avantages et inconvénients de cette double profession.  Que penses-tu de l’affirmation selon laquelle des avocats font de la politique pour avoir des clients ?

F. CULOT : Je pense que c’est un fantasme de croire que l’on fait de la politique en tant qu’avocat pour obtenir des clients. Mon expérience en tout cas ne le traduit pas. On peut évidemment penser à moi parce qu’on me connaît par la politique mais, si ça a pu arriver, je pense que le contraire est arrivé un nombre encore plus grand de fois, c’est-à-dire penser à moi et puis ne pas venir vers moi précisément parce que je fais de la politique. Je pense que la plupart des clients, lorsqu’ils recherchent un avocat, recherchent une compétence et une réputation. Ils sont très indifférents, me semble-t-il, à l’engagement politique de l’avocat.

F. NATALIS : Est-ce que des clients t’ont déjà demandé d’intercéder en leur faveur auprès des autorités ?

F. CULOT : Je l’ai déjà entendu mais la réponse est systématique, c’est non. Je suis d’ailleurs persuadé qu’aujourd’hui, dans l’époque que nous connaissons, ce type d’intervention serait tout à fait nuisible aux intérêts du client. Et donc je ne marche pas dans ce jeu-là. 

 

F. NATALIS : Et au contraire, est-ce que cette double casquette avocat/politique t’a déjà causé des inconvénients ?

F. CULOT : Elle m’en pose aujourd’hui évidemment pour la question du conflit d’intérêts, qui m’interdit de me charger de certains dossiers, mais c’est un choix et il faut l’assumer.

 

F. NATALIS : Enfin, parle-nous un peu de tes premières semaines en tant que député. Une anecdote ?

F. CULOT : C’est un métier qu’il faut vraiment apprendre. J’ai peu de temps devant moi avant les prochaines élections, ce qui m’impose de me mettre rapidement dans le bain, mais c’est une expérience enrichissante. Elle peut aussi être parfois frustrante. Par exemple, la semaine dernière, le Parlement wallon s’est penché sur un projet de décret imposant que, dans tous les collèges communaux, après les élections communales de 2018, soit présent au minimum 1/3 de membres d’un sexe différent, c’est-à-dire en pratique 1/3 de femmes dans chaque collège. Ce texte a été voté à l’unanimité et pourtant je suis persuadé qu’une majorité des parlementaires, dont je fais partie, était résolument opposée à cela.

Pourquoi me direz-vous avons-nous voté ce texte dans ce cas ? On l’a voté parce que deux textes étaient sur la table : un texte imposant la présence pour moitié de femmes et l’autre pour un tiers. Il a fallu accepter une forme de « deal » aux termes duquel, si on ne votait pas un tiers, c’est la moitié qui passerait.

A l’heure actuelle, il y a déjà une obligation d’avoir un membre dans le collège d’un sexe différent. Les deux sexes sont donc déjà obligatoirement représentés. Mais aller au-delà en imposant le tiers, ou la moitié comme certaines le voulaient, est selon moi une grande erreur. Cela va aboutir à moins de bonne gouvernance, à moins de démocratie locale et à moins de débats sur les projets pour avoir davantage de débats tournés autour des personnes. En effet, je pressens qu’un grand nombre de partis vont conditionner des accords de majorité à la question de savoir qui amènera la ou les échevines, plutôt que d’avoir d’abord un débat sur le projet de ville. Je précise que je n’ai aucune difficulté à voir un collège qui serait très majoritairement composé de femmes, la question n’est pas là, la question est de porter atteinte à la liberté par voie décrétale. On doit laisser l’électeur se prononcer sur base des listes qui lui sont proposées avec, à l’heure actuelle, déjà la moitié de candidats hommes et la moitié de candidats femmes. Je suis pour la liberté dans la composition des collèges sur base du résultat électoral, mais également, je l’espère, des compétences et des motivations affichées par les uns et par les autres. Dans de petites communes, où les collèges peuvent être de taille très réduite, il n’est pas nécessairement évident de trouver des candidats pour être membres du collège, et imposer des quotas comme ceux-là va encore compliquer les choses. De la même manière, dans des villes plus grandes, imposer un nombre déterminé d’échevins d’un sexe particulier va conduire à ce qu’un parti majoritaire sortant des élections imposera peut-être à son partenaire d’amener d’abord des candidats en fonction de leur sexe, plutôt qu’en fonction de leurs compétences, de leurs motivations ou de leur disponibilité, et ça je ne l’accepterai jamais.

Photo FC HD

F.NATALIS : Merci Fabian pour tous ces commentaires et bonne continuation.

Flo boulot

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