#Rebondissons !

Article

#Rebondissons !

P. Henry 271x180 rectangle

Tous à Charleroi pour le congrès biennal d’AVOCATS.BE !

Enfin pas tout à fait tous. Nous étions un bon 300. Ce n’est pas mal mais cela reste trop peu, bien trop peu, d’autant que les questions abordées touchaient à l’avenir de notre profession et que les jeunes n’étaient certes pas les plus nombreux à se presser sur les tréteaux de Charleroi Danse

Le lieu est impressionnant. Les avocats sont au théâtre et ils semblent s’y trouver bien. La scénographie est en tout cas très réussie. Ce n’est pas l’essentiel mais cela contribue certainement à la qualité des travaux.

Ceux-ci s’ouvrent par un débat d’entrepreneurs animés par Amid Faljaoui, avec Bernard Delvaux (CEO Sonaca Group), Marie-Hélène Ska (secrétaire nationale CSC), Orphée Cataldo (Dirty Motor), Jurgen Dewijn (Manufacture Urbaine), Salvatore Curaba (meilleur employeur belge des années 2015 et 2016) et Jean-Michel Van Bever (Prodiled). C’est une belle mise en perspective. Quels sont les défis d’aujourd’hui ? Comment les affrontent-ils ? Défis numériques, pluridisciplinarité, entreprises agiles, intégration des intelligences artificielles, mondialisation, économie participative, and so on …

A la pause, je suis interpellé par un des exposants qui ont monté leurs stands dans les espaces annexes. Son discours, vigoureux, tranche avec ce que nous venons d’entendre. Oui, les avocats sont devenus des entrepreneurs, en droit. Mais ils ne le sont pas encore en fait. Le marché de l’innovation est désespérément plat. Les avocats semblent se cantonner dans un attentisme frileux, voire terrorisé. Il est actif en France et il me dit qu’Outre-Quiévrain l’esprit est très différent. Les initiatives se multiplient : collaboration avec les legal techs, création de plates-formes, cabinets dématérialisés, intelligence artificielle, nouvelle approche de la clientèle, recours au forfait, …

Chaque barreau un peu important y va de son incubateur. Ils créent des prix de l’innovation. Ils organisent des conférences, des formations.

Chez nous ce n’est pas le désert, mais cela bouge quand même fort peu. Il y a quelques initiatives à saluer, notamment à Liège (les consultations en ligne, le prix de l’innovation), à Mons (particulièrement en matière d’intelligence artificielle et de financement du procès : voyez le superbe projet Barreau 3.0, qui sera lancé ce 16 juin 2017[1]) et à Bruxelles (conférences sur l’innovation et le numérique) mais les avocats répondent peu. Ils ne sont pas encore des entrepreneurs dans leur tête …

C’est l’occasion de saluer la création d’un incubateur par AVOCATS.BE[2]. Lancement dans les semaines qui viennent. Ce sont de premiers pas. Il faut aller plus loin. Avec détermination.

Les participants se répartissent ensuite entre deux ateliers : L’offre de services juridiques, avec Thierry Bontinck, Yves Brulard, Marie Simonnot, Thierry Wimmer, Barend Blondé et Yves d’Audiffret ; Avocat mais pas seulement : vers de nouveaux métiers, avec Luc Misson, Stéphanie Pelet-Serra, Arnaud Lecocq et Jean-François Ledoux.

J’opte pour le second. Les quatre intervenants nous parlent des spécificités d’activités un peu marginales, des deux côtés de la frontière de notre profession. Etre avocat et agent sportif ? Est-il possible d’apporter de la déontologie dans un monde où le conflit d’intérêts, la fraude et la corruption semblent être la règle ? Etre avocat et lobbyiste ? C’est nettement plus compatible même s’il faut accepter des contraintes et des exigences différentes. Etre avocat et compliance officer ? Oui mais pour autant que l’on puisse éviter tout risque de conflits d’intérêts entre deux missions incompatibles.

Le débat qui suit est passionnant. Il est au cœur de nos réoccupations d’aujourd’hui.

Faut-il  élargir le périmètre de la profession, pour nous permettre d’envahir de nouveaux marchés et d’y apporter de la moralisation, mais au risque de perdre une partie (peut-être importante) de ce qui fait le cœur de notre profession : indépendance, secret professionnel, prohibition des conflits d’intérêts, … ?

Faut-il au contraire nous resserrer sur nos fondamentaux, pour protéger notre âme mais au risque de réduire notre champ d’action et, dès lors, d’abandonner une bonne partie de nos confrères sur le bord de la route (avec les conséquences que cela entrainerait pour la représentativité et le poids de notre profession) ?

Ou alors, faut-il modifier un régime d’incompatibilités qui ne tient plus qu’à un fil pour nous permettre de cumuler des professions que nous considérons aujourd’hui comme inconciliables ? Etre avocat le matin, agent sportif, lobbyiste, restaurateur ou marchand d’art l’après-midi ? Est-ce iconoclaste ? C’est ce qui se pratique dans le Sud de l’Europe … Nous avons pour dogme que nous ne pouvons exercer d’activités commerciales. Mais, comme le fait observer Xavier Van Gils, la notion même de commerçant est moribonde. Elle sera bientôt remplacée par celle d’entrepreneur. Et nous sommes des entrepreneurs …

Etonnant, dans l’autre débat, les discussions dérivent vers les mêmes questions. Et cela avait déjà été le cas, il y a deux ans, dans l’atelier L’avocat éclaté du congrès #Agissons. Voilà donc un chantier essentiel pour nos Ordres. Il est lancé, notamment au sein de la Commission déontologie d’AVOCATS.BE[3].

Quant à moi, je pense que moyennant des règles strictes en matière de conflits d’intérêts, rien ne devrait interdire à un avocat d’exercer parallèlement une activité digne. Nous l’admettons pour les administrateurs de sociétés, les syndics d’immeubles, les fonctions universitaires ou politiques. Pourquoi pas pour les agents d’artistes, les promoteurs immobiliers ou les chauffeurs de taxis (voilà une belle façon d’ubériser notre profession …) ? Pour autant bien sûr que l’on ne mélange pas les torchons et les serviettes et qu’ainsi notre indépendance et le secret professionnel soient préservés. C’est d’ailleurs un débat ouvert à l’occasion des réflexions sur le protocole permettant le détachement d’avocat en entreprise ?

Tiens, puisqu’il s’agit de conflit d’intérêts, la question était au cœur du débat des politiques, Renouer avec l’opinion qui nous occupa en deuxième partie de l’après-midi. Autant le dire franchement, ce ne fut pas le point fort du congrès. Paul Magnette s’était fait remplacer par Pierre-Yves Dermagne qui se fit remplacer in extremis par Olga Zrihen. Olivier Chastel s’était fait remplacer par Richard Miller qui se fit remplacer in extremis par Georges-Louis Bouchez. Et Maxime Prévot se fit remplacer à la dernière seconde par Antoine Tanzilli. Quel mépris !

Et on ne cassa pas des barreaux de chaises … Haro sur le cumul des mandats ! Avec quelques nuances, bien sûr, mais techniques et, dès lors sans grand intérêt. On évita soigneusement les « affaires », sans doute parce qu’elles étaient tabou (ou parce qu’ils manquaient certaines personnes autour de la table). Nous aurions pourtant aimé les entendre parler du cumul de la qualité d’avocat et de la fonction politique.

Car s’il y a bien un débat fondamental, c’est celui-là. Voulons-nous une caste de politiciens professionnels, coupés du monde réel, attachés à leurs petits privilèges et prêts à toutes les dérives individualistes, ce à quoi nous a progressivement mené notre système particratique ? Ou encadrons-nous des citoyens responsables prêts à s’engager pour la chose publique par des règles de conflits d’intérêts que l’on précise et fait strictement appliquer ?

Avant ce débat, il y avait encore eu trois ateliers : Décoder l’information : la banane carnivore, avec Jacques Englebert, Jean-Pierre Jacqmin, Martin Buxant et Jennifer Waldron ; « La firme » : ouvrir et développer sa boîte, avec Eric Lardinois, Dirk Maertens, Vincent Van Obberghen et Stanislas Van Wassenhove ; L’art de convaincre, avec Bertrand Périer[4] et Vincent Defraiteur. Maîtriser les outils dont l’avocat du XXIe siècle a besoin.

Nous devons être capables de communiquer et de réagir à la communication des autres. Nous devons être capables de gérer un cabinet comme une entreprise, en nous fixant des objectifs, en en évaluant la progression, en intégrant les innovations, en gérant les ressources humaines. Nous devons être capables de nous adresser aux juges en adaptant nos techniques de plaidoirie aux évolutions de la justice : aujourd’hui, on ne prépare plus sa plaidoirie, on se prépare à plaider, c’est-à-dire à interagir avec un magistrat qui a étudié le dossier[5].

Bref, nous devons être capables de maîtriser une série de soft skills qui ne figurent nulle part dans nos programmes d’enseignement.

Améliorer nos programmes d’enseignement : c’était précisément un des thèmes au cœur du superbe exposé de presque-conclusion que nous offrit Kami Haeri, avocat au barreau de Paris, qui vient de rendre à l’ex-Garde des sceaux Jean-Jacques Urvoas un rapport sur L’avenir de la profession d’avocat. Il nous en a présenté les principaux axes.

Comment dessiner une profession plus mobile, plus agile, plus innovante, pluridisciplinaire, moins discriminante (si les avocats formaient une seule entreprise, l’écart entre les rémunérations des plus et moins nantis serait non seulement inacceptable, mais même intenable. Et que dire encore du plafond de verre auquel sont confrontées nos confrères féminines ?) ? Comment développer l’excellence, plus que jamais indispensable car elle est, dans notre société mondialisée et hyperconnectée, devenue une exigence indispensable ? Comment développer un barreau plus participatif, plus collaboratif, plus ouvert sur les MARCs ?

Le rapport Haeri se clôt par une série de propositions. Elles ne sont pas toutes directement applicables chez nous (notamment, justement, en matière de formation parce que le système français est assez différent du nôtre) mais elles sont, en tout cas, largement transposables. Elles recoupent d’ailleurs largement les idées contenues dans le rapport Horizon 2025, commandité par AVOCATS.BE et l’O.V.B. il y a deux ans. Rebondir. Et choisir le bon camp pour prendre son thé.

Il me revient, non pas de conclure, mais de clôturer cette belle journée en présentant une motion sur la défense du secret professionnel. Car innover, s’adapter, progresser, agir, rebondir, ce n’est certes pas négliger nos fondamentaux : l’indépendance, la prévention des conflits d’intérêts, la dignité, la probité, … et le secret professionnel. Celui-ci est aujourd’hui, plus que jamais, attaqué. Par des pratiques de perquisitions, d’écoutes, d’interceptions et d’enregistrements de communications électroniques. Et par des propositions de lois ou directives en matière de protection des personnes vulnérables ; de divulgation d’informations relatives à des comportements permettant de craindre la préparation d’attentats terroristes, voire une radicalisation ; de dénonciation des stratégies d’optimalisation fiscale ; de protection des lanceurs d’alertes, qui ne sont rien d’autre que des violateurs de secret professionnel, souvent sympathiques certes. J’ai décrit ces dangers dans d’autres colonnes[6].

Une bien belle journée, dont le barreau sort plus fort. Nous avons, à nouveau, pris la mesure des défis. Nous traçons des pistes. Nos Ordres nous montrent la voie (enfin, certains plus que d’autres …). Maintenant c’est à nous de jouer. Ne nous laissons pas ubériser.

#Rebondagissons.

Patrick Henry

Ancien bâtonnier de Liège

Ancien président d’AVOCATS.



[1] O. Haenecour, « Mons lance le barreau 3.0 », Justement, 2017/9, p. 1.

[2] Décision du Conseil d’administration d’AVOCATS.BE du 15 mai 2017.

[3] Nos amis français viennent précisément d’adapter leur R.I.N. sur ce point : L. Dupont et S. Bortoluzzi, « Champ d’activité professionnelle de l’avocat et prestations juridiques en ligne : les dernières évolutions du R.I.N. », S. J., 2017, p. 954.

[4] Qui, au passage, nous a présenté son superbe projet Eloquentia, qui permet d’intégrer des populations marginalisées par une éducation au discours. A quand une déclinaison en Belgique ?

[5] C’était déjà l’enseignement du colloque co-organisé par les barreaux et universités de Liège et Gand en 2009, Mieux conclure, mieux plaider, mieux juger.

[6] « Le secret, c’est le droit au droit », Forum du barreau de Bruxelles, mai 2017.

Ajouter un commentaire

Texte brut

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
This question is for testing whether or not you are a human visitor and to prevent automated spam submissions.