Dites-moi où sont les femmes ?

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Dites-moi où sont les femmes ? (par Isabelle Thomas)

[caption id="attachment_2371" align="aligncenter" width="300"]copyright: Dominique Houcmant | Goldo copyright: Dominique Houcmant | Goldo[/caption] Outre le fait qu’il s’agisse d’une magnifique chanson de Patrick Juvet, cette interrogation a été au centre des débats électoraux pour le vice-Bâtonnat l’année dernière et reste parfaitement pertinente : que deviennent les femmes, pourtant largement majoritaires sur les bancs universitaires des facultés de droit puis lors des prestations de serment ? Où disparaissent-elles toutes, passé la trentaine, ces greluches, si elles ne sont plus au Barreau ? Ont-elles été happées par une sorte de Triangle des Bermudes dont il faudrait élucider une fois pour toutes le mystère ? Comment peuvent-elles préférer quitter notre cénacle (ô affront !) pour aller travailler chez des assureurs ou des banques ? Il fallait donc les décourager de partir, ou plutôt les encourager à rester au Barreau. On allait leur proposer des facilités pour combiner leur vie d’avocate et maman grâce à des places prioritaires dans des crèches, et pourquoi pas même une crèche au Palais. Parce qu’en effet, notre pauvre trentenaire à la dérive cumule tous les défauts : elle est non seulement femme, mais également mère. Cette espèce en voie de disparition du Barreau va donc devoir être protégée comme il se doit, telle une petite chose fragile et sans défense… Comme si ces femmes ne s’imaginaient pas que ce serait le parcours du combattant, de trouver une crèche, aussitôt le test de grossesse positif jeté à la poubelle (ou gardé en souvenir au mur). Comme si ces femmes ne vivaient pas le même calvaire que toutes les femmes qui travaillent et qui se retrouvent dans la même situation. Comme si ces femmes étaient devenues décérébrées, tous neurones fagocytés par leur maternité, pour ne pas s’interroger sur l’organisation pratique d’une vie chamboulée par l’arrivée d’un petit être, certes charmant, mais  vagissant et monopolisant. On sent d’autant plus poindre le malaise, lorsque le Barreau tente de faire du statut de l’avocate-femme-mère l’une de ses préoccupations, que, de façon assez maladroite, il n’est tout simplement jamais question… du père. Le père, ce grand absent, qui délaisserait toutes les charges du ménage sur sa tendre et douce (et surtout très dévouée), et qui n’aurait donc pas à bénéficier des mêmes facilités qu’il conviendrait d’accorder à la mère. Cliché, vous avez dit cliché ? Près d’un an plus tard, où en est-on, de ces mesures ? N’y a-t-il pas eu un excès d’optimisme dans les propositions formulées ? Et, de manière plus générale, est-il vraiment du rôle du Barreau de se substituer, en la matière, à l’Etat (qui, soit dit en passant, a fait quelques avancées…) : a-t-on vraiment les moyens d’action nécessaires et suffisants pour faire progresser des enjeux politiques nationaux, lorsqu’on a déjà la plus grande peine à se faire entendre et respecter de notre Ministre concernant, par exemple, la réforme de l’aide juridique ? Personnellement, je pense qu’essayer de retenir de jeunes avocates au Barreau relève d’une double hypocrisie. Reconnaissons d’abord que le Barreau n’est pas en pénurie telle (c’est même plutôt l’inverse) qu’il faille absolument considérer comme un danger le départ de certaines de ses ouailles. Ensuite, il est largement erroné de penser que seul le statut d’indépendante viendrait à décourager les femmes de rester avocates. Au contraire même, j’ai souvent entendu des filles de mon âge dire que, ce qui leur manquerait le plus dans la carrière d’avocat, si elles venaient à y mettre un terme, serait précisément l’indépendance et la liberté dont elles jouissent. Alors, auraient-elles simplement perdu leur flamme, les femmes ? Et si, et si… l’aveu de faiblesse du Barreau tenait tout simplement à cela ? Notre profession ne fait plus rêver, elle est encore parfois grisante, mais souvent angoissante, elle ne nous permet plus de « faire carrière » et encore moins de faire fortune. Alors s’en détourner, dans ces conditions-là, se fait davantage par clairvoyance, par espoir d’un mieux, qu’avec regrets et amertume.

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