La libération (très) conditionnelle

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Quelle déception ! Notre Ministre n’est pas, comme vous, une lectrice attentive de votre revue préférée ou elle la lit, mais ne prête que peu d’intérêt aux messages qui lui sont (modestement) adressés. Bref, le résultat est le même. Souvenez-vous, il y a quelques mois, quand la Ministre criait à qui voulait l’entendre que la libération conditionnelle était devenue has been et qu’elle allait changer tout ça. Nous avions émis l’une ou l’autre remarque quant au procédé législatif, au manque de nécessité d’une réforme, au phénomène d’effet d’annonce. Eh bien, devinez quoi : elle l’a fait quand même… Certes, soyons sérieux, nous ne nous faisions pas beaucoup d’illusions quant à l’influence de quelques lignes sur ceux qui nous gouvernent ni sur ceux qui allaient être amenés à débattre de ces modifications législatives : même s’ils ne jouent pas au scrabble sur leurs tablettes pendant les séances parlementaires (ou le font plus discrètement qu’en France), ils ne lisent pas tous, eux non plus, la présente revue. Mais nous attendions beaucoup plus de l’impact des réactions et commentaires qui ont fusé à la même époque, et continuent à fuser, telle notamment celle d’avocats.be (l’OBFG version 2.0, pour ceux qui n’auraient pas encore updaté). Au lieu de cela, le train fou a continué sa route. Jugez plutôt : le gouvernement dépose son projet de loi devant la Chambre le 16 janvier dernier en invoquant l’urgence (sur laquelle un vote favorable est obtenu le lendemain) et le 1er février le texte est déjà envoyé au Sénat. Emballez, c’est pesé… Quelle urgence ? Mystère… Toujours est-il qu’à travailler de manière précipitée, on passe à côté de certaines choses, ce qui donne des résultats étonnants. Par exemple, pourquoi prévoit-on d’augmenter les seuils d’admissibilité « en cas de condamnation à une peine privative de liberté de trente ans ou à une peine privative de liberté à perpétuité » sans viser les peines d’emprisonnement ou de réclusion à temps supérieures à 30 ans, pourtant permises par notre Code pénal ?... Voici donc une réforme inutile, unanimement décriée par les praticiens, censée plaire au grand public (mais qui ira lui expliquer que les nouveaux seuils ne s’appliqueront pas rétroactivement à – par exemple – Marc Dutroux ?…) et qui, par-dessus le marché, lui donne l’impression que le sentiment de défiance qu’il a envers la justice est fondé (sinon pourquoi exiger la présence de cinq juges au TAP et l’unanimité de ceux-ci, même si cela ne concerne que les condamnations les plus lourdes). A l’heure où ces lignes sont écrites, la commission de la Justice du Sénat examine le texte, et nul ne sait ce qui en sortira (ceci étant dit pour ménager un semblant de suspense). La Ministre en remet déjà une couche en annonçant au Parlement son intention d’inclure le concept de multirécidivistes-récidivistes (« veelplegers-recidivisten » en V.O.) en tant que catégorie distincte dans le Code pénal… Et pour couronner le tout, voilà qu’un nouvel écueil apparaît à l’horizon, mis en lumière par la demande de surveillance électronique de Qui-Vous-Savez. Je ne parle pas ici du barnum lié à sa comparution au palais de justice de Bruxelles et du coût que cela engendre, même si cela me reste en travers de la gorge. Pas le déploiement de forces de l’ordre, que je comprends pour un tel déplacement, mais la nécessité même de ce déplacement. Entendre le Président du Tribunal de Première Instance de Bruxelles justifier que la comparution devait se faire au palais et non en prison, puisque c’est là que se rend la justice, en faisant le parallèle avec les matches de foot qu’on n’imaginerait pas être joués en prison uniquement pour réduire le recours aux forces de l’ordre, voilà qui est, disons, surréaliste… Sait-il par exemple que « son » TAP siège régulièrement à la prison d’Andenne pour les détenus qui y séjournent ?... Mais fermons cette parenthèse, et revenons à l’écueil annoncé ci-dessus. Non seulement il va falloir éviter que certains condamnés célèbres soient un jour relâchés, mais aussi compter avec leurs victimes, qui entendent bien que la Ministre tienne les promesses qu’elle leur a faites en des temps de grande émotion (électorale)… Comment, disent-elles notamment, nous est-il possible d’avoir des droits dans le cadre d’une demande d’octroi d’une libération conditionnelle ou de surveillance électronique, de comparaître à l’audience et d’y faire valoir nos observations, mais sans pouvoir au préalable accéder au dossier au même titre que le condamné ? Dès lors que la loi belge ne le prévoit pas et puisque la question ne sera pas posée à la Cour constitutionnelle, la menace d’un recours à Strasbourg plane sur la Ministre et son baromètre de popularité. Elle a donc à présent l’occasion, soit de récidiver en proposant une loi de complaisance, soit de motiver le maintien du texte actuel. Comment d’ailleurs pourrait-on envisager que les victimes disposent devant les TAP de plus de droits qu’elles n’en ont aujourd’hui ? Il est parfaitement admis que les parties civiles, devant les juridictions répressives, n’ont un rôle que dans le cadre de l’action civile : cela suppose, certes, que les faits soient déclarés établis et qualifiés d’une certaine manière. Leur plaidoirie anticipera souvent le réquisitoire du Parquet sur ces points, mais aucun empiètement ne leur est permis en ce qui concerne les autres volets de l’action publique, notamment la peine à infliger (sous réserve de la question marginale des confiscations et restitutions à leur profit). La partie civile ne doit donc pas sortir de son rôle, et il n’est pas rare d’entendre un juge rappeler à l’ordre un plaideur par trop inspiré par les punitive damages anglo-saxons. Et voilà que l’on voudrait admettre en aval ce qui n’existe pas en amont ? Que l’on voudrait permettre à la victime de se « rattraper », des années plus tard, en venant s’opposer à la sortie de prison de celui qui a gâché sa vie ? Même en ayant foi en l’être humain, comment imaginer que des victimes puissent facilement accepter que leur bourreau soit libéré alors que leur propre préjudice est peut-être définitif, sans rémission et les amène « à fond de peine » ? Et celles qui l’accepteront ne sont sans doute pas celles qui exigent aujourd’hui un  tel accès au dossier. Ni celles qui « pétitionnent » pour que la partie civile puisse plaider sur la peine dans les procès d’assises… Changer la loi dans leur sens reviendrait à effectuer un fameux pas en arrière dans le mouvement séculaire d’étatisation de la justice pénale. Pas au point de revenir au système de la vengeance privée, sans doute, mais avouez tout de même que cette « évolution » n’en serait pas une. Et que si nous voulons améliorer le sort des victimes, médiatiques ou « de droit commun », d’autres chantiers peuvent être envisagés. La Ministre saura-t-elle faire face et motiver adéquatement sa position, au lieu de rester dans le flou ?  Aura-t-elle le courage de s’opposer à des victimes très écoutées et  intouchables dans la presse ? Aucun conseil à lui donner, bien sûr, elle ne les lirait quand même pas. Juste des questions. Peut-être oratoires… Jean-François Dister

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